Voici une proposition détaillée de cadre légal des monnaies numériques à l’échelle d’un pays (la France est prise comme exemple ici) ou d’une zone économique comme la zone euro:
Direction des monnaies numériques
- La gestion des monnaies numériques sur le sol français est la responsabilité de la Direction des monnaies numériques (DMN) rattachée à la Banque de France
- La DMN reconnait l’EURT ainsi que trois types de monnaies numériques: les monnaies numériques décentralisées, généralement dénommées “cryptomonnaies”, les monnaies numériques d’Etat, également labellisées “gouvernementales” ou “étatiques”, et les monnaies numériques d’entreprise, également labellisées “privées” ou “corporate”
- La DMN se réserve le droit de refuser l’émission ou la perception d’une ou plusieurs monnaies numériques par une organisation privée sous réserve de motiver sa décision
- La DMN a la responsabilité de fournir gratuitement sur le territoire français un service de “wallet” (application de gestion de monnaies numériques) ainsi qu’un service client pour les utilisateurs qui ont perdu une clé privée de monnaie numérique d’État ou de l’EURT
- La DMN a un droit de regard sur toute registre numérique partagé listant les transactions de MNC autorisée et de MNE.
Monnaies numériques
- Toute monnaie numérique est associée à un usage, des caractéristiques techniques, un symbole en lettres majuscules (ticker en anglais) et éventuellement un territoire
- Une monnaie numérique peut également être arrimée à une autre monnaie ou un actif financier; il s’agit dans ce cas d’une monnaie numérique stable
- Une monnaie numérique d’Etat (MNE) est une monnaie numérique émise par une administration publique française
- Une monnaie numérique d’entreprise (MNC) est une monnaie numérique émise par une organisation de droit privé ayant des activités sur le territoire français
- Une cryptomonnaie est une monnaie numérique dont le fonctionnement est décentralisé et l’émetteur pas nécessairement identifié (par exemple: Bitcoin).
L'euro digital
- La monnaie officielle sur le territoire français est l’euro numérique, qui est une monnaie numérique de banque centrale (MNBC en français, CBDC en anglais) et dont le symbole est EURT
- La création et la gestion de l’EURT sont assurées par la Banque centrale européenne (BCE), qui conserve son monopole d’émission de l’euro
- Toute organisation de droit privé à but lucratif ou non ayant des activités sur le sol français (ci après “entité”) doit accepter l’EURT comme monnaie de règlement de ses biens, créances et prestations et dans le cadre de dons.
Emission de MNE
La Banque de France est le seul EMNE (émetteur de monnaies numériques d’Etat) sur le territoire français, sachant que l’EURT, qui est une MNBC, est émis par la BCE. L’administration publique est habilitée à faire émettre des monnaies numériques stables par le biais de la Banque de France qui doivent répondre aux critères suivants:
- elles doivent répliquer la valeur de l’EURT
- elles doivent toujours être convertibles en EURT
- elles doivent être gérées sur des blockchains publiques avec permission
- leur déclaration d’émission doit figurer au journal officiel
- elles doivent être dédiées à des usages bien définis et connus de tous, par exemple le paiement de taxes, frais administratifs ou contraventions, le versement d’allocations ou de revenus de base.
Emission de MNC
L’émission de monnaies numériques privées est assurée par des prestataires dénommés “émetteurs de monnaies numériques d’entreprise” (EMNC en français, CCE en anglais) enregistrés auprès de la DMN pour le compte d’entités. Un certain montant de MNC peut être offert par l’entité émettrice, notamment lors de son lancement, pourvu que les contreparties soient clairement explicitées aux destinataires, par exemple l’inscription à une newsletter, l’achat de certains produits ou services ou la divulgation du contenu et des transactions du wallet. Tout détenteur de MNC doit être informé par email et tout autre moyen jugé nécessaire par l’entité émettrice en cas d’émission ou de destruction de jetons, de cessation d’activité ou de changement des règles d’émission ou de consensus. Toute entité est habilitée à faire émettre par un EMNC une ou plusieurs monnaies numériques privées, sous réserve de respecter les conditions suivantes:
- elle doit faire une demande d’émission à la DMN et indiquer notamment à cet effet la dénomination de la monnaie, ses caractéristiques techniques, le prestataire choisi pour procéder à la création et à la gestion de la monnaie numérique, son usage prévu, sa date de lancement, le nombre d’unités émises (jetons), l’algorithme de consensus, le gestionnaire du registre numérique, le type de registre numérique, le cours de la monnaie au lancement de celle ci, sa variabilité (stable ou pas), sa territorialité (lieux où elle est utilisable), les mécanismes de création et destruction périodiques de jetons (burn)
- elle doit obtenir l’autorisation d’émission par la DMN
- elle doit informer la DMN notamment en cas de changement des règles ou de la fréquence d’émission, d’émission ou de destruction de jetons non prévu par le protocole, de changement de gestionnaire, de cessation d’activité de la monnaie, de changement de l’algorithme de consensus, de piratage
- la monnaie numérique émise doit être convertible en EURT
- une contrepartie numéraire équivalente au capital émis doit être déposée en EURT auprès de la Banque de France. Par exemple si 1 millions de jetons à 0,20 EURT sont émis, l’entité émettrice devra déposer 200.000 EURT à la Banque de France qui resteront séquestrés tant que ces jetons ne seront pas “détruits”
- la capitalisation boursière initiale de la monnaie émise doit être supérieure ou égale à 10.000 EURT
- l’entité émettrice prévoit des mesures pour assurer le droit à l’oubli, notamment en cas de perte ou vol de sa clé privée par un utilisateur, qui sont transmises aux utilisateurs et assurées par contrat par l’EMNC
- l’entité émettrice prévoit en accord avec l’EMNC un mécanisme et éventuellement des conditions ou une date de cessation d’émission ou de désactivation de la monnaie numérique
- contrairement aux MNE, les MNC ne doivent pas forcément être stables, peuvent être gérées par des blockchains privées et peuvent être cotées sur des plateformes d’échanges.
Paiement en monnaies numériques
- Toute personne physique ou morale qui effectue un paiement sur le territoire français peut choisir parmi les monnaies proposées par le prestataire celle dans laquelle il souhaite régler sa prestation et accepte le prix proposé par le prestataire dans la monnaie qu’il a choisie
- Toute entité est libre de fixer le prix de ses biens, créances et prestations en EURT et dans les monnaies de son choix, y compris si cela entraîne une différence de prix pour la même prestation/le même bien suivant la monnaie choisie
- Tout gestionnaire de paiement qui manipule des monnaies numériques devra obtenir l’agrément de la DMN et déclarer les monnaies numériques qu’il gère pour le compte de ses clients percepteurs de flux monétaires numériques
Perception de monnaies numériques
- Aucune entité ne peut imposer une autre monnaie que l’EURT comme unique monnaie de règlement de ses biens, créances et prestations, mais elle peut en accepter d’autres
- L’administration publique est en revanche habilitée à imposer l’utilisation exclusive d’une MNE pour la perception de taxes et impôts spécifiques ou le versement d’allocations ou revenus de base
- Les impôts indirects dus lors de l’achat d’un bien ou d’une prestation sur le territoire français sont transférés instantanément par le gestionnaire de paiement à l’administration fiscale correspondante dans la MNE imposée par cette dernière
- Toute entité qui accepte des monnaies numériques en plus de l’EURT doit les déclarer à la DMN: il peut s’agir de MNC émises par elle-même et de MNC émises par d’autres entités et autorisées par la DMN
- Toute MNC autorisée par la DMN est un moyen de paiement licite mais qui ne peut être exclusif sur le territoire français, pourvu que le percepteur accepte ce moyen de paiement: c’est donc le percepteur et non le payeur qui détermine les monnaies acceptées pour régler une prestation, sachant que l’EURT doit toujours en faire partie dans le cas de percepteurs de droit privé
- Aucune entité ne peut être forcée d’accepter une MNC, une MNE ou une cryptomonnaie si elle ne souhaite pas, hormis l’EURT
- Les cryptomonnaies ne sont pas des moyens de paiement officiels sur le territoire français mais sont tolérées pourvu que le récepteur les convertisse par ses propres moyens en EURT immédiatement après réception du paiement
- Les frais de conversion et de virement de monnaies numériques, qui sont assurées par le gestionnaire de paiement instantanément lors de la transaction, sont à la charge du payeur, sauf remise commerciale explicitement communiquée par le percepteur.
Sphère privée et droit à l'oubli
- Toute personne physique ou morale est responsable de ses clés privées et donc de ses fonds
- Toute personne physique ou morale qui perd sa clé privée perd également les fonds associés définitivement
- Toute entité ou administration publique émettrice de MNE ou MNC doit proposer via son EMNE ou EMNC la création d’un nouveau compte non pourvu en jetons avec une nouvelle clé privée à un utilisateur ayant perdu l’accès à sa clé privée ou souhaitant changer de compte sans que celui-ci ait à justifier sa demande
- C’est la Banque de France, en tant qu’EMNE exclusive sur le territoire français, qui assure ce service dans le cas de MNE françaises
- Les monnaies utilisées par une personne physique ou morale lorsqu’elle effectue des paiements sont un élément de sa sphère privée qui ne peut être divulgué à des parties tierces qu’en vertu de son autorisation expresse. Cette information peut cependant être divulguée volontairement par cette personne en échange ou pas d’avantages numéraires ou matériels
- L’entité ou l’administration émettrice d’une monnaie numérique a un droit de regard sur les transactions qui ont lieu dans sa ou ses monnaies.
Résumé des grands principes
- Une monnaie = un émetteur = un usage
- Le percepteur détermine quelles monnaies peuvent être utilisées pour régler ses prestations, sachant que l’EURT doit toujours en faire partie dans le cas d’entités privées
- Toute entité privée peut créer une ou plusieurs MNC sous réserve de conformité et de déclaration auprès de la DMN
- L’émetteur de l’EURT est la BCE
- L’émetteur de MNE françaises est la Banque de France
- Des sociétés appelées EMNC (émetteurs de monnaies numériques d’entreprise) et enregistrées auprès de la DMN sont habilitées à émettre des MNC sur le territoire français
- Les MNE doivent être stables, les MNC pas forcément
- Les utilisateurs sont responsables de leur clé privée: s’ils la perdent, ils perdent leurs fonds
- L’EURT est un moyen de paiement légal pour toute prestation proposée par une entité privée
- Une entité doit accepter l’EURT, les MNC qu’elle émet ainsi que des MNC d’autres entités pourvu qu’elle le déclare à la DMN
- Si une entité privée accepte au moins une autre monnaie que l’EURT, elle peut proposer des prix différents pour la même prestation suivant la monnaie choisie par le payeur
- Les frais de conversion et de virement sont à la charge du payeur, qui charge son gestionnaire de paiement ou celui du prestataire de ces missions
- Le paiement de toutes les parties prenantes d’une transaction, administration fiscale y compris, se fait instantanément lors de l’achat dans les monnaies requises par les percepteurs
- Les cryptomonnaies sont des moyens de paiement tolérés sur le territoire français pourvu que le percepteur les convertisse immédiatement après l’achat en EURT par ses propres moyens
- Seule l’administration publique peut obliger les assujettis à des taxes, frais administratifs, contraventions et impôts à les régler dans une MNE bien définie autre que l’EURT
- Les informations sur les monnaies utilisées par une personne physique ou morale font partie de sa sphère privée mais peuvent être monnayées
- Une entité émettrice peut octroyer des montants d’une MNC qu’elle émet en échange de contreparties explicites
- L’entité ou l’administration émettrice d’une monnaie numérique a un droit de regard sur les transactions qui ont lieu dans sa ou ses monnaies
- La DMN a un droit de regard dans tous les registres numériques des MNC qu’elle a autorisées.